Une main se lève…
Elle me parle cette voix. Les mots semblent avoir un poids, une force. Les mots s’infiltrent, comme s’ils allaient un peu plus loin que des mots ordinaires, comme s’ils voulaient atteindre une part de moi qui n’est pas habituée à être attentive à des mots. Ils me bercent ces mots, et je tangue.
Je me suis posé des questions avant cette séance. Ce sont des questions bien ordinaires, quand on ne sait pas. C’est qu’il n’est pas simple ce mot, hypnose : il en contient des questions, pour un si petit mot. Elles débordent de lui ces questions, elles l’entourent, elles le rendent difficile à lire. Il est entouré de brouillard ce mot.
Maintenant, c’est moi qui suis dans le brouillard. Quelque chose m’échappe. Je le sens, mais je ne sais pas le dire avec précision. On dirait l’un de ces moments, le matin, où on connait le rêve que l’on vient de vivre, mais où on ne peut déjà plus le formuler. Vous savez : les mots ne collent plus au rêve, ils glissent, ils se détachent, on les perd… alors les images s’éloignent et s’effacent. Quand les mots ne peuvent plus atteindre les rêves, les organiser en pensées, ils disparaissent. On s’éveille, et le brouillard avale les rivages du rêve.
Je ne sais pas à quoi je m’attendais au juste. Je m’attendais à quelque chose pourtant en allant faire cette séance. J’ai lui ait dit, à l’hypnotiseur, que je voulais tester, juste tester. Il m’a regardé avec un air entendu. L’air de quelqu’un qui a déjà entendu ça mille fois. Il a été poli : il a fait comme si c’était pour la première fois.
On s’est parlé un peu. On a parlé de moi je crois. Je ne suis pas certain d’avoir vraiment dit quelque chose d’important avec le recul. C’est que c’est quelque chose de parler de soi, comme çà, à un inconnu… Alors ça a été presque un soulagement quand il m’a demandé de fermer les yeux. Enfin, je crois qu’il me l’a demandé. Ça m’a semblé être la chose à faire, sur le coup, de fermer les yeux. Pour l’écouter, pour me laisser conduire par cette voix, par ses mots.
Et là, dans ce brouillard, ma main se soulève. C’est une chose étrange qu’une main qui se lève, quand elle le fait toute seule, je peux vous le dire ! D’habitude c’est moi qui la soulève, qui la bouge. Mais là, elle le fait sans moi. Et ce n’est pas un mouvement réflexe. Je sais ce que c’est un mouvement réflexe : on a la sensation que notre corps pense plus vite que nous, qu’il sait ce qu’il a à faire. Je sais aussi que mon corps sait faire des mouvements, comme ceux de la respiration par exemple, pendant que je suis occupé à d’autres choses. Je n’y pense pas à tous ces mouvements. Personne n’y pense : ils sont ordinaires, communs, connus… Mais là, c’est autre chose. Elle se lève autrement cette main : elle se lève et elle semble avoir quelque chose à faire. Elle se lève, car les mots, avec tout leur poids, le lui demandent. Cette main, qui m’est si familière, elle bouge par les mots et pas par moi. Son mouvement n’est pas le mien. Et puis – je le sais- je n’aurais pas bougé ma main comme ça moi.
Et, puisque ce n’est pas « je » qui lève la main, c’est qu’il y autre chose en moi que la partie qui dit « je ». Il y autre chose en moi que cette partie qui pense ces mots… et cet autre chose, là, pendant que j’ai les yeux fermés, est en train de bouger ma main. C’est perturbant, dérangeant, mais je crois que je le savais. Je crois que je m’en souviens.
Est-ce ça l’hypnose ? La découverte de cette autre chose ? La découverte qu’on est plusieurs à l’intérieur ? Est-ce ça, un hypnotiseur ? Quelqu’un qui sait parler à cette partie de nous ? Qui sait la trouver quand elle est inaccessible pour nous ?
Il dit, l’hypnotiseur, que la main va venir toucher mon visage. Elle l’écoute ! Elle infléchit son mouvement. Elle me semble joyeuse ma main, ce qui est une idée bien étrange quand on y songe. Elle emporte mon bras dans un lent mouvement, et j’ai le temps de le penser venir jusqu’au visage. J’entends la voix, elle dit : « Vous comprenez maintenant que les mots peuvent agir sur vous, sur votre corps, sur votre monde, n’est-ce pas ? Ceci transforme votre réalité ordinaire et le lien que vous entretenez avec elle… alors le doute apparaît… »
Ce ne sont que des mots, mais ils façonnent ma réalité. Ils agissent, ils remuent. Ils fissurent ce que je croyais être moi, l’unité à laquelle je m’attachais. Cette main, elle touche mon visage. Elle le découvre. Il y a quelque chose d’incertain en moi. Ce que je suis redevient incertain… et c’est une sensation bien agréable. Que c’est bon de douter, de ne plus être prisonnier de la certitude ! Je pensais être « un ». Mais je suis deux, et sans doute plus encore…
La main touche le visage. Il est étrange ce contact. Est-ce bien moi que je touche ? Je ne sais pas si l’autre est le visage, ou si l’autre est la main. Je suis l’un ou l’autre, mais je ne sais pas lequel.
Ce geste, si lent, il me raconte quelque chose. Il me parle de toutes les fois où mon corps a tenté de me dire quelque chose. Il me parle de toutes ces parts de moi que j’ai censurées. Il me parle des autres facettes de moi que j’ai oubliées.
La main touche un visage. Ce visage est un masque. La main est une marionnette. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Je ne suis pas la partie qui dit «je » : elle n’est qu’une toute petite partie, au fond. Comment ai-je pu croire qu’elle était la totalité ?
Un silence. Intérieur, extérieur. Une sensation de paix. Je sens que j’apprends et que je change. Un nœud se défait en moi. C’est apaisant. C’était si simple en fait…
Je me souviens maintenant pourquoi je suis venu faire cette séance. Je me souviens de ce que je n’ai pas dit à l’hypnotiseur. Je n’aurais pas pu le dire de toute façon, je ne m’en souvenais pas avant cet instant. Comment ais-je fait pour oublier ?
C’est si simple. Je veux m’en souvenir après cette séance !
La main redescend. Ce mouvement, me semble plus proche. C’est ma main et je me l’approprie à nouveau. Le brouillard se dissipe. Ma main se pose et mon corps se réveille. Ce n’est peut-être pas le bon mot : réveil.
Je remonte. Est-ce bien l’hypnose qui a fait bouger ma main ? Ou ai-je fait semblant ? Il y a quelque chose dont je voulais me souvenir. C’était important non ?
La voix disparaît dans un murmure. Elle était agréable cette voix.
J’ouvre les yeux. Je me sens bien. Je suis là. Ai-je vraiment été hypnotisé ?
C’est étrange : le mot réveil ne me semble pas convenir. J’ai plutôt l’impression, à l’inverse, que c’est maintenant que je m’endors. J’ai l’impression de retourner dans un vieux songe…
Mais quelque chose a changé. Dans mes pensées, dans mon regard, dans ma respiration, il y a quelque chose de différent.
Et puis d’un coup, dans cette réalité, je me souviens…
CARINE says
Magnifique !
Gervais says
Poétique et inspirant ! Merci !
Isabelle Lefèvre says
C’était ainsi et plus encore car je me souviens que mon corps était en suspension dans le vide… infléchi à l’extrême, en dehors de la chaise. La chose impossible à faire physiquement, impossible à tenir dans le temps. Même un circassien de haut vol n’aurait pu tenir ainsi durant 20 mn sans crampes, sans déroute physique,et les deux mains « en l’air ». Un état fait de confiance, une hypnose funambule, et tu en parles merveilleusement bien. « L’entre », de l’ordre de la suspension, une quasi lévitation !
Merci Kevin de venir à la source de l’expérience.
Vincent Baudry says
Les mots nous servent à penser, et c’est tellement agréable lorsque les mots d’un autre arrivent si bien à exprimer notre pensée ! merci pour toute l’inspiration que vous apportez aux autres, et a moi en particulier.
Thomas D says
Belle écriture :). Probablement retranscrite par des mains qui se sont lavé et levé de leurs routines moultes fois, sautillantes et flottantes peut être, pour s’inspirer et nous souffler aussi ces jolies descriptions.
Merci pour le partage 🙂
Corinne says
Et si l’hypnose c’était juste le Bonheur. Le bonheur d’un instant, le Bonheur d’ouvrir son téléphone et de découvrir un texte, une poème, un petit qqchose qui transforme l’intant en éternité…
Merci Kevin pour toutes ces précieuses pépites que tu nous offres sans modération.
Quelle énergie tu nous insuffles …
LENA says
Souvenirs souvenirs…. Grazie mille Kévin pour ce petit retour en arrière sur ce qui fût un grand pas vers le futur… Bises et belle continuation.. Léna
Lopez Guillermo says
Merci Kévin pour ce bel article encore une fois écrit surement avec une main qui se laissait allée au gré des mots et des phrases.
Je me souviens aussi de ce jour particulier, un jeudi même pendant cette formation, où ma main elle aussi avait décidé de s’envoler et de créer ce moment intense de rire, et lorsqu’elle a décidé de se rapprocher et t’intensifier ce rire jusqu’au Fou Rire.
Ce fut un plaisir de vivre cette Lévitation Hypnotique et Joyeuse avec toi .
😉
Encore merci pour tout ce que tu partages comme valeurs et connaissances.
A bientôt
Ana says
J’adore ce texte, j’adore ce que l’hypnose nous permet d’explorer, cet ailleurs si proche de nous… Elle nous permet de nous rencontrer nous-mêmes.
Merci Kevin.
FOUCHER Isabelle says
merci pour ce texte magnifique, qui décrit parfaitement toute l intention que cette autre partie de nous veut nous enseigner
merci Kévin pour se partage……
Evelyne says
Magnifique !
Mon trajet en train n en a été que plus agreable. Je me suis prise à revasser. Merci !
Lachance says
Sublime!
Turki says
Merci pour cette induction tres poetique; les mots transportent et nous font rever tout en nous faisant voir »la lévitation hypnotique » comme on ne l’a jamais vue;
Sable says
Great common sense here. Wish I’d thuoght of that.
Riglet says
ÇA Y EST! Ça y est, ça a marché! Bras pliés, paumes tournées vers le ciel, une colombe se pose dans ma main droite… rien, il ne se passe rien, je ne lache pas la voix ….. mais il ne se passe rien de spécial, concentration sur l’oiseau symbole de mon énergie créatrice…. dans la main gauche je place un énorme poids en fonte avec son anneau au centre, et là, ça décolle!
Quelle étrange sensation ce bras qui s’éloigne et le droit qui s’approche du plexus, pendant que le gauche continue son trajet, la paume se tourne vers le sol et se débarrasse du poids, du poids de la culpabilité.
Alors sur mon visage un immense sourire, le sourire du chat d’Alice au pays des merveilles.
Mille mercis Kevin pour ce moment merveilleux, moi qui ne peux pas vivre dans un monde sans magie je te remercie.
C’était à Paris cabinet public du 27/02/17
nelly says
L’hypnose mène à l’art de la poésie ou l’inverse
merci pour ce texte inspiré et inspirant
AMBRE says
Whaoo ! magnifique !